Des robots aux communs

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Mardi 14 mai 2019, EHESS, 54 Bd Raspail, 75006, salle 6_51

Gabriel Alcaras (EHESS/CMH) – Les communs numériques à l’épreuve de l’industrie informatique : le cas des logiciels libres et open source.

S’ils ont longtemps semblé échapper à la sphère marchande, les communs numériques occupent aujourd’hui une place centrale dans les infrastructures de l’industrie informatique. Comment expliquer cette  trajectoire surprenante ? À partir d’une recherche doctorale en cours, nous apporterons des éléments de réponse en étudiant l’exemple d’un type de communs numériques, les logiciels libres − ces programmes gratuits dont le code est librement accessible et modifiable (Broca 2013). Notre réflexion commencera par questionner le cas de Github, une plateforme de partage de code source, rachetée en juin 2018 par Microsoft pour 7,5 milliards de dollars. Comme son nom l’indique, cette start-up a placé au centre de ses usages un programme du libre, nommé git, et fait l’objet d’une acquisition par une entreprise historiquement emblématique de la  lutte contre le libre.

Martin Chevallier (EHESS/CEMS) – L’arrivée des robots sociaux : quid novi ?

Dans le sillage de l’intelligence artificielle, l’arrivée de robots « sociaux », « émotionnels », « compagnons », est annoncée ici et là comme une révolution silencieuse, un phénomène déjà là (au Japon, dans les EHPAD, à l’accueil de magasins) et bientôt ici, dans les écoles, les hôpitaux, les restaurants, et dans les foyers. Médias spécialisés ou généralistes, essayistes, roboticiens médiatiques et institutions publiques, se font largement l’écho depuis quelques années de cette « robolution » imminente en insistant sur les enjeux éthiques qu’elle soulève (menace sur l’emploi, protection des données personnelles, respect de la dignité humaine…). À contre-courant des discours en surplomb, inquiets ou enthousiastes, évoquant une « révolution anthropologique » et exhortant à aménager sans tarder les conditions d’une cohabitation harmonieuse avec des robots « éthiques par design », nous souhaiterions montrer que la nouveauté de la recherche et du business de la robotique sociale est toute relative. Cette nouveauté pourtant revendiquée masque de multiples échecs, rendez-vous manqués et coups d’arrêts brutaux, comme l’annulation à la dernière minute du salon Innorobo en 2018. D’autre part, les applications actuelles, autant que celles qui sont projetées à court et moyen terme, loin d’être disruptives, tendent plutôt à perpétuer des asymétries et des stéréotypes bien enracinés (en matière de genre, concernant la dépendance et le grand âge). À moins, bien sûr, d’identifier un registre moins reluisant de disruption :  loin de préfigurer des relations humain-robot sur le long cours, leurs concepteurs conditionnent majoritairement le succès de leurs robots à leur capacité à faire le buzz, plutôt qu’à être durablement « adoptés ».

Des classes populaires au numérique

FRANCE-GOVERNMENT-TRANSPORT-VTC-DEMOPassagers rejoignant à pied l’aéroport d’Orly alors que des chauffeurs de VTC en bloquent l’accès, le 17 décembre 2016. CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Mardi 9 avril, 11h-13h, 54 Bd Raspail 75006, salle 6-51

Le nouveau prolétariat à l’ère des plateformes – Sarah Abdelnour et Sophie Bernard (Paris Dauphine/Irisso)

Dans une perspective s’inscrivant au croisement de la sociologie du travail et de la sociologie des mouvements sociaux, cette présentation visera à éclairer le nouveau terrain de la conflictualité que constituent les plateformes numériques. Nous nous focaliserons sur le cas des chauffeurs VTC en France. L’entreprise Uber symbolise en effet l’émergence d’un « capitalisme de plate-forme », qui bousculerait tant l’organisation collective du travail que les formes d’emploi, notamment par le recours à une main-d’œuvre externalisée indépendante. Si Uber a attiré des milliers de « partenaires » en quelques années, des tensions sont rapidement apparues autour de l’entreprise. Des premières manifestations devant le siège d’Uber ont lieu à l’automne 2015, et depuis l’hiver 2016, c’est une contestation plus organisée et institutionnalisée que l’on observe. Or au vu de leur statut d’indépendant, de leurs conditions de travail, de leur jeune âge et de leurs parcours sociaux, ces mobilisations semblent à de nombreux égards largement « improbables ». Comment débute et s’organise cette mobilisation ? Quels sont leurs représentants ? Quels sont les registres d’action mobilisés ? Ces travailleurs inaugurent-ils des pratiques protestataires spécifiques ? Quelles sont leurs revendications ? Pour traiter ces questions, nous nous appuyons sur un matériau de terrain comprenant des observations de manifestations, des entretiens avec des chauffeurs mobilisés, avec les leaders du mouvement, avec des acteurs politiques de la régulation du secteur, avec des chauffeurs non-mobilisés, ainsi que sur le suivi des échanges sur les réseaux sociaux.

L’Internet des familles modestes – Dominique Pasquier (CNRS/Telecom ParisTech)

Il y a des révolutions qui se font en silence. L’intégration d’Internet dans les foyers des milieux populaires en est un exemple. Comme Jacques Rancière l’a analysé à propos des productions écrites d’ouvriers au XIXe siècle, il s’agit de poser l’égalité des intelligences comme point de départ de la réflexion pour comprendre comment « une langue commune appropriée par les autres » peut être réappropriée par ceux à qui elle n’était pas destinée (Rancière, 2009). Un tel changement de focale permet d’entrevoir des usages qui n’ont rien de spectaculaires si ce n’est qu’ils ont profondément transformé le rapport au savoir et aux connaissances de ceux qui ne sont pas allés longtemps à l’école : des recherches sur le sens des mots employés par les médecins ou des intitulés des devoirs scolaires des enfants, les tutoriels sur le bricolage, le fait de s’informer sur son métier ou ses droits, etc. Le succès des sites d’employés des services à la personne est là pour en témoigner. Des assistantes maternelles y parlent de leur conception de l’éducation des enfants, des aides-soignantes ou des agents de service hospitaliers de leur rapport aux patients. Si ces pratiques pourraient apparaitre comme peu sophistiquées, elles opèrent une transformation majeure en réduisant l’asymétrie du rapport aux experts et en atténuant ces phénomènes de « déférence subie » des classes populaires face au monde des sachants (Lareau, 2011).

En liens avec la séance

Abdelnour, Sarah, 2011, Les nouveaux prolétaires, Paris, Textuel.

Abdelnour, Sarah, 2017, Moi, petite entreprise. Les auto-entrepreneurs, de l’utopie à la réalité, Paris, Presses Universitaires de France.

Bernard, Sophie, 2011, Être caissière (caissier), Lyon, Lieux dits.

Bernard, Sophie, 2012, Travail et automatisation des services, Toulouse, Editions Octarès.

Lareau, Annette, 2017, Unequal Childhoods. Class, race and family life. Berkeley: University of California Press.

Pasquier, Dominique, 2018, L’Internet des familles modestes. Enquête dans la France ruraleParis, Presses des Mines.

Rancière, Jacques, 2009, Et tant pis pour les gens fatigués, Paris, Amsterdam.